Accéder au contenu principal

Une clause de règlement amiable des différends ne pouvant pas mettre en échec une mesure d’exécution forcée

L’arrêt du 21 mars 2019[1] démontre les limites au principe de l’autonomie de la volonté des parties face aux mesures d’exécution forcée. En effet, sur le fondement d’un acte notarié, la banque Société Générale a fait délivrer un commandement de payer, valant saisie immobilière, à la société Le Départ et a assigné celle-ci à l’audience d’orientation devant le juge de l’exécution. Cette dernière a soulevé l’irrecevabilité de la procédure de saisie immobilière en l’absence de mise en œuvre de la clause de conciliation préalable à toute instance judiciaire insérée dans l’acte notarié. Suite à un arrêt d’appel de rejet, la société débitrice s’est pourvue en cassation en arguant que la clause de conciliation s’impose au juge, d’autant plus que celui-ci ne peut en dénaturer le contenu lorsque les termes de ladite clause sont clairs et précis.

Une clause de conciliation ayant vocation à s’appliquer préalablement et obligatoirement à toute instance judiciaire peut-elle faire obstacle à l’accomplissement d’une mesure forcée ?

La deuxième chambre civile de la Cour de cassation par l’arrêt du 21 mars 2019 affirme qu’une clause imposant ou permettant une conciliation préalablement à la présentation d’une demande en justice relative aux droits et obligations contractuels des parties ne peut, en l’absence de stipulation expresse en ce sens, faire obstacle à l’accomplissement d’une mesure d’exécution forcée.

Elle confirme ainsi la Cour d’appel d’Aix-en-Provence qui avait déduit que la clause de conciliation ne pouvait faire obstacle à la délivrance d’un commandement de payer et à l’assignation de la débitrice à l’audience d’orientation, car il n’avait pas été prévu de manière expresse que la clause litigieuse s’applique à l’occasion de la mise en œuvre d’une mesure d’exécution forcée.

1. Les limites de l’expression de la volonté commune des parties.

La Cour de cassation a affirmé qu’une clause de conciliation ne pouvait pas faire obstacle à l’accomplissement d’une mesure forcée si cela n’est pas expressément prévu par les parties.

Depuis l’introduction en 1995 de la médiation judiciaire, on perçoit un certain intérêt pour les modes amiables de règlement des différends. Selon la jurisprudence[2], le non-respect d’une clause de médiation ou conciliation préalable à la saisine du juge est sanctionné par une fin de non-recevoir, invocable en tout état de cause et sans avoir à justifier d’un grief, empêchant ainsi la discussion du litige au fond. La Loi de modernisation de la justice du XXIe siècle[3] fait de la conciliation et de la médiation une condition de recevabilité de l’action en justice. De surcroit le projet de réforme de la justice porté par la Garde des Sceaux, Madame Belloubet, vise d’une part à renforcer le recours aux modes alternatifs de règlement des conflits, notamment numériques et d’autre part à permettre au juge de suspendre l’instance pour enjoindre aux parties de tenter une médiation[4].

L’arrêt commenté s’inspire de la solution jurisprudentielle rendue en 2017[5] à propos d’une clause de médiation : « une clause imposant ou permettant une médiation préalablement à la présentation d’une demande en justice relative aux droits et obligations contractuels des parties ne peut, en l’absence d’une stipulation expresse en ce sens, faire obstacle à l’accomplissement d’une mesure d’exécution forcée ». A travers cet arrêt récent, la Cour de cassation définit les contours de l’application des clauses de conciliation et médiation. En effet, les sages estiment que le caractère facultatif et préalable de celles-ci ne suffit pas à empêcher une mesure d’exécution forcée, sauf si cela a été expressément prévu par les parties. Donc, ce qui importe est moins la volonté des parties que la précision avec laquelle la clause a été rédigée.

2. Une approche restrictive protégeant le créancier d’une obligation.

L’arrêt de mars 2019 vient confirmer l’abandon de l’approche libérale dont la Haute juridiction avait fait preuve dans un arrêt de 2014. La médiation et la conciliation conventionnelles sont décrites à l’article 1530 du code de procédure civile comme étant « tout processus structuré, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord, en dehors de toute procédure judiciaire en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l’aide d’un tiers (…) ».

Ainsi, elle avait jugé que « la clause d’un contrat instituant une procédure de conciliation obligatoire et préalable à toute instance, judiciaire s’impose au juge, quelle que soit la nature de celle-ci »[6].

Selon le professeur Brenner, « il y aurait contresens et il serait tout à fait déraisonnable d’imposer systématiquement un préliminaire obligatoire de négociation à celui qui n’entend nullement émettre une prétention contentieuse, mais seulement recouvrer son dû »[7].

Selon l’article 111-3 du code de procédure civile d’exécution, les actes notariés valent titre exécutoire, par conséquent, ils permettent d’engager des mesures d’exécution forcée sans demander l’intervention du juge. Dans un acte authentique, la précision de la clause doit être à plus forte raison l’objet d’une attention particulière. Toutefois, la solution aurait peut-être été différente en présence d’un acte sous seing privé. Malgré l’imprécision de la clause, les juges auraient respecté la commune volonté présumée des parties de recourir à la conciliation préalable.

L’accès aux modes amiables est favorisé à tout stade de la procédure ainsi qu’au moment de l’exécution du jugement. En raison de leur caractère conventionnel et de leur finalité, il est possible de suggérer que la volonté commune des parties devrait toujours primer. En l’espèce, la clause litigieuse concernait de manière générale les litiges portant sur « les droits et obligatoires contractuels » des parties. Par conséquent, elle aurait dû s’appliquer puisque le manquement du débiteur à son obligation contractuelle de payer avait été constaté sur le fondement d’un titre exécutoire.

Toutefois, la faveur pour les modes amiables de résolution des différends ne doit pas être un obstacle à l’expression des droits fondamentaux, tel que le droit d’accès au juge et encore moins laisser le créancier subir la déloyauté et les manœuvres dilatoires de son débiteur.

Adriana Bottasso, Juriste

[1] Cass. 2 civ., 21 mars 2019, n° 18-14773

[2] Cass., Ch. mixte, 14 février 2003, n°s 00-19.423, 00-19.424

[3] Loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle

[4] Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice

[5] Cass., 2e civ., 22 juin 2017, n° 16-11.975

[6] Cass. 1e civ., 1er octobre 2014, n° 13-17.920

[7] BRENNER Claude, « La clause de médiation ou de conciliation préalable à la présentation d’une demande en justice n’interdit pas la saisie immobilière », Gaz. Pal. 13 déc. 2017, n° 309y7, p. 39