Réflexions sur l’amélioration de la pratique de l’arbitrage / questions au professeur G. JAZOTTES
INTERVIEW de M. Gérard JAZOTTES (Professeur agrégé en Droit privé à l’Université de Toulouse 1 Capitole) par Mme Adriana BOTTASSO (Juriste - Diplômée Master 2 Contentieux et Arbitrage)
- Adriana BOTTASSO : Quels chemins devrait emprunter l’arbitrage, notamment en province, pour confirmer sa diffusion / son succès ?
- Gérard JAZOTTES : Pour développer l’arbitrage en province, les opérateurs économiques et leurs conseils doivent franchir deux obstacles : le coût et la méconnaissance de l’arbitrage. Tout d’abord s’agissant de la crainte liée au coût, il conviendrait de développer une tarification de l’arbitrage fixée au préalable, comme c’est déjà le cas pour les plateformes numériques d’arbitrage en fonction de la difficulté ou de la somme en cause. Ensuite, afin de lutter contre la méconnaissance de l’arbitrage, pourrait être mise en œuvre une communication adaptée à destination des organisations professionnelles, des conseils et des opérateurs économiques, en mettant l’accent sur les qualités de l’arbitrage, notamment la confiance fondée sur la compétence technique des arbitres et la sécurité, l’arbitrage reposant sur l’application du droit. Enfin, les conseils pourront contribuer à son succès en incitant les parties à conclure des clauses compromissoires.
- A.B. : La formation destinée aux arbitres et le rôle de l’université : une formation universitaire, seraitelle utile afin de sensibiliser les arbitres à la procédure arbitrale, dont la connaissance est tout aussi importante que le domaine du litige lui-même ?
- G.J. : La formation universitaire est nécessaire parce que la compétence de l’arbitre relativement à la procédure arbitrale est un facteur de sécurité. Cette formation est donc extrêmement utile. D’une part parce qu’elle permettrait de priver de fondement la crainte portant sur prétendue insécurité de l’arbitrage. D’autre part, elle renforcerait la confiance des entreprises et de leurs conseils à l’égard de ce mode alternatif de règlement des
différends. L’arbitre doit connaitre et maîtriser les principes fondamentaux régissant l’arbitrage, tels que l’impartialité, l’indépendance et la diligence afin de préserver le bon déroulement de la procédure arbitrale et d’assurer l’acceptabilité de la sentence. Enfin, cette formation ne pourra que contribuer à l’évolution de l’arbitrage en province. - A.B. : La faveur pour les MARD finit-elle par nuire à l’arbitrage ?
- G.J. : La loi de programmation du 23 mars 20191 vise à développer la phase de règlement amiable, notamment en incitant les parties à rencontrer un médiateur. On peut imaginer que des particuliers se tournent davantage vers les modes amiables de règlement des différends qui sont d’accès facile. Toutefois, la faveur pour les MARD ne nuira pas à l’arbitrage dans le domaine du droit des affaires pour plusieurs raisons. Avant tout l’arbitrage offre aux entreprises la sécurité et la confiance souhaitées, car la procédure arbitrale est réglementée par le code de procédure civile et les arbitres appliquent le droit quand bien même ils statueraient comme amiables compositeurs. Ensuite, parce que la pratique des contrats de partenariat montre que les clauses de règlement des litiges mettent en œuvre une graduation dans les modes de règlement des différends. La première étape étant la médiation ou la conciliation et en cas d’échec de celles-ci, s’ouvre une deuxième étape, celle de l’arbitrage.
- A.B. : La place du numérique dans l’arbitrage : la justice prédictive aurait-elle sa place dans la pratique de l’arbitrage?
- G.J. : Tout d’abord, concernant la place du numérique, on constate que certains centres d’arbitrage proposent des plateformes qui n’excluent pas du tout l’intervention d’un arbitre en tant que personne physique choisie en fonction de sa compétence. Le recours aux plateformes numériques paraît être utile à l’évolution de l’arbitrage, par exemple afin d’assurer la transmission des pièces qui devra avoir lieu sous couvert de la confidentialité. Toutefois, ce choix suppose un coût et des modalités particulières.
Ensuite, concernant la place de la justice prédictive, il est incontestable qu’elle peut avoir sa place dans la pratique de l’arbitrage, mais simplement comme aide à la décision. En effet, afin de préserver l’intérêt de l’arbitrage, il est nécessaire de garantir l’intervention de l’arbitre, en tant que personne physique, afin qu’il affine la solution donnée au litige. Comme l’affirme le professeur Denis Mouralis « nous avons besoin d’humains pour rendre des bonnes décisions ». Ce souci paraît avoir été pris en considération dans l’article 4-2 de la loi de programmation2 et de réforme pour la justice puisqu’il énonce que « les services en ligne de l’arbitrage ne peuvent avoir pour seul fondement un traitement algorithmique ou automatisé de données à caractère personnel». Ce qui signifie que l’intervention physique du tiers reste indispensable. - A.B. : Pensez-vous que le mouvement de faveur pour l’arbitrabilité des litiges va se poursuivre et que de nouveaux blocs de matières inarbitrables vont pouvoir être connus par les juges privés ? Si oui, ce mouvement de privatisation doit-il être regardé comme un échec pour l’Etat à l’égard de la justice ou plutôt comme une issue inévitable ?
- G.J. : Depuis de nombreuses années, on assiste à une définition restrictive du domaine de l’inarbitrabilité. D’abord en droit des affaires et, plus récemment, dans le domaine des affaires familiales. Une rapide navigation en ligne permet de constater la création d’un Tribunal arbitral des affaires familiales. Mais il convient de respecter l’article 2060 du code civil3 qui exclut de l’arbitrabilité, entre autres, tout ce qui relève de l’état et la capacité des personnes. Ce mouvement pourrait être interprété comme un échec de l’Etat, confronté à la question du financement de la justice et au nécessaire allègement de la charge des juridictions judiciaires. Sur son caractère inévitable, tout dépendra de l’attitude des justiciables et de leurs attentes. Il convient de ne pas oublier que la Justice ne peut pas être un objet de consommation et qu’elle requiert du temps.
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La Lettre de la Chambre - n°5 Novembre 2019.pdf
[1] - Loi n• 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice
[2] - Ibid
[3] - C.civ., art. 2060: « 10n ne peut compromettre sur les questions d’état et de capacité des personnes, sur celles relatives au divorce et à la séparation de corps ou sur les contestations intéressant les collectivités publiques et les établissements publics et plus généralement dans toutes les matières qui intéressent l’ordre public. Toutefois, des catégories d’établissements publics à caractère industriel et commercial peuvent être autorisées par décret à compromettre. »