Pour une justice contractuelle efficace : la Médiation OHADA
Etude par Me. Hugues KENFACK, Professeur à l'université de Toulouse - Doyen honoraire Faculté de droit, Arbitrage, Médiateur
Pendant longtemps, la médiation a été le parent pauvre de la justice contractuelle dans le monde. Depuis quelques temps, un vent de faveur souffle sur tous les modes alternatifs de règlement des différends (MARD) parmi lesquels la médiation occupe une place importante.
Cette situation dans le monde est la même en Afrique, et plus particulièrement dans la zone de l’OHADA[1]. Un acte uniforme avait été adopté pour favoriser… l’arbitrage et il a eu une certaine efficacité. Désormais, deux nouveaux actes uniformes viennent d’être adoptés : l’un sur l’arbitrage et l’autre sur la médiation. Il s’agit de l’Acte uniforme sur la médiation adopté le 23 novembre 2017 et entré en vigueur le 15 mars 2018. Il a été au centre de la journée d’étude organisée par l’institut de droit privéde l’université Toulouse Capitole, avec le concours de l’Association des centres d’arbitrage et de médiation d’Afrique (ACAM), la participation de la Chambre de Médiation, de conciliation et d’Arbitrage d’Occitanie, de l’Ecole des avocats Toulouse sud-ouest Pyrénées (EDASOP), la Promotion Mandela des médiateurs formés au CMAP et les éditions juridiques Lexbasequi en ont assuré la publication[2]. C’était la première manifestation sur cet Acte uniforme[3]. Les présenteslignes reviennent sur cette journée d’étude enprésentant l’essentiel du droit de la médiationen zone OHADA (I) ainsi que sur l’Acte uniforme OHADA sur la Médiation dont les acteurs ont salué la pertinence et l’exemple qu’il constitue y comprispour la France (II).
I. L’état du droit de la médiation dans la zone OHADA
Il n’est pas possible de dresser un panorama complet de cet état en quelques lignes[4]. On se contentera d’évoquer l’importance considérable des centres demédiation et une législation d’un Etat membre.
Un des facteurs principaux du développement de la médiation en zone OHADA est la création des centres d’arbitrage et de médiation. Sans prétendre à l’exhaustivité et en tenant compte de la datede création, on peut citer notamment le centre d’arbitrage, de Médiation et Conciliation de la Côte d’ivoire (CACI, 9 mai 1997), le Centre de Médiationet de conciliation de Dakar (CAMC-D, 5 juin 1998),le Centre d’Arbitrage du Groupement inter-patronal du Cameroun (CA-GICAM, 20 novembre 1998), la Chambre d’Arbitrage de la Guinée Conakry (CAG, 11août 1998), la Chambre de conciliation et d’arbitrage de l’association interprofessionnelle du Cotondu Bénin (CCA-AIC, 12 juillet 2001), la Chambre d’Arbitrage, de Médiation et de Conciliation du Bénin (CAMC, 1er septembre 2003), le Centre d’arbitrage du Congo – RDC ( CAC, 2003), le Centre d’Arbitrage, de Médiation et de conciliation de Ouagadougou (CAMC-O, 11 janvier 2005) ou le Centre d’Arbitrage du Togo (CATO, 1er janvier2011). Le CAMC-O par exemple est une référence en Afrique car il a un fonctionnement comparable aux centres occidentaux. Ses délais de règlement des litiges de médiation et d’arbitrage sont brefs etson efficacité très grande. Ces centres sont souventmis en place dans le cadre des chambres consulaireset leurs règlements de médiation ont servi de référence, même si quelques rares lois nationales sur la médiation ont été adoptées.
II. les apports de l’acte uniforme OHADA sur la médiation
Adopté le 27 novembre 2017 par le Conseil des ministres de l’OHADA, l’acte uniforme relatif à la médiation est entré en vigueur le 15 mars 2018.Il s’agit du 10e acte uniforme, ce qui montre bien les avancées du droit OHADA. Il a été adopté le même jour que le nouvel acte uniforme relatif à l’arbitrage, les deux traduisant la modernité du droit OHADA notamment dans la résolution des litiges du commerce international. Ramené à l’essentiel, la médiation OHADA entend largement l’essentiel, la médiation OHADA entend largement ce terme, confirme les principes fondamentaux de la médiation : confidentialité, indépendance dumédiateur, impartialité, respect de la volonté desparties, liberté contractuelle. Quelques éléments importants peuvent être mis en lumière : définition de la médiation, statut du médiateur, conditions du recours à la médiation, efficacité de la médiation et rôle fondamental de la CCJA.
L’acte uniforme adopte une définition extensive de la médiation, cette dernière se voulant accessible à tous, pour un différend civil ou commercial, peu important qu’il existe ou non une relation contractuelle entre les parties ou qu’il faille attester l’existence d’un litige. Cette médiation peut être conventionnelle ou judiciaire, ad hoc ou institutionnelle. Le texte ne s’embarrasse pas du tout de la distinction entre conciliation et médiation, ce qui, sur le plan pratique doit être salué.
L’acte uniforme adopte une procédure simplifiée uniformisée de médiation qui sera sans doute très utile tant elle va permettre un gain de temps important dans la résolution des litiges dans l’espace OHADA[5].
L’Acte uniforme dessine les contours d’un statut juridique du médiateur ohadien et ses dispositionsapportent de réelles garanties aux justiciables et aux professionnels de la médiation même si des imprécisions demeurent. Il s’agit pourtant d’une question importante car la médiation repose engrande partie sur le… médiateur. L’acte uniforme prévoit dans son article 6 alinéa 1 « au moment de sa désignation, le médiateur confirme, dans une déclaration écrite, son indépendance et son impartialité, ainsi que sa disponibilité pour assurer la procédure de médiation ». Il y a là une recherche d’efficacité assez poussée, car en France notamment, cette déclaration d’indépendance estorale. Cet article 6 apporte d’importantes précisions sur le statut juridique du médiateur, complété par les articles 13 (frais de la médiation) et 14 (incompatibilités).
Un des apports les plus importants de l’acte uniforme sur la médiation est qu’il assure l’efficacité de la médiation ohadienne, grâce à un système original pour rendre exécutoire l’accord de médiation. Ce système peut servir d’exemple pour de nombreux Etats dont la France tant l’exécution forcée de l’accord de médiation est facilitée et accélérée[6]. D’une part,la voie notariale a été logiquement prévue. D’autre part, et même si les parties passent par un juge et que le texte de l’acte uniforme conserve les termes exequatur (rappelant l’arbitrage) et homologation, les délais de cette dernière sont assez courts. En outre, le contrôle du juge se limite à l’ordre public : faute de réponse dans le délai de 15 jours, l’homologation est réputée acquise. La juridiction d’homologation n’est pas là pour refaire l’accord de médiation. Pour compléter l’ensemble, les cas de recours sont très limitativement énumérés. En plus, un recours est possible contre l’acte d’homologation si une des parties estime que l’accord de médiation est contraire à l’ordre public et un pourvoi est possible en cas uniquement de refus d’homologation ou d’exéquatur. Tous ces recours sont portés devant laCCJA. Il faut espérer que très vite cette Cour indiquela voie à suivre avec pour effet de faire tarir lecontentieux car il serait paradoxal de s’entendre enconcluant un accord de médiation censé apaiser les parties puis ensuite de batailler sur son exécution.
En conclusion, l’acte uniforme OHADA relatif à lamédiation constitue une avancée considérable. La médiation harmonisée issue de l’acte uniforme apporte une sécurité supplémentaire, notamment en ce qui concerne la force exécutoire de l’accord de médiation. Aujourd’hui, dans la zone OHADA, la médiation bénéficie d’un cadre juridique suffisant. Des réticences existent encore, sur le plan sociologique. Elles doivent être surmontées pour que l’amiable et le judiciaire co existent harmonieusement. L’acte uniforme OHADA sur la médiation, comme celui sur l’arbitrage apportent des avancées considérables. Reste maintenant à continuer à mieux préparer les esprits pour qu’en fonction du type de litige, médiation et arbitrage jouent un rôle important dans cette zone avantgardiste qu’est l’OHADA en matière de justice contractuelle.
Hugues KENFACK - Professeur à l’université de Toulouse - Doyen honoraire Faculté de droit, Arbitre,Médiateur
Téléchargement la Lettre n°4 dans sa totalité
La Lettre de la Chambre - n°4 Novembre 2018.pdf
[1] OHADA : organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires.
[2] Pour une justice contractuelle efficace : Regards de droit comparé sur la médiation OHADA et France,Lexbase, édition OHADA, n° 10, 12 avril 2018.
[3] V. récemment « L’arbitrage CPA, l’arbitrage CRCICA, l’arbitrage et la médiation OHADA », Colloque international organisé par l’APAA à Yaoundé les 22 et 23 mai 2018.
[4] Pour une étude d’ensemble de la question, H. Kenfack, la médiation dans les droits africains, ColloqueTunis, 2017, Penant, 2017. Adde H. Kenfack, Droit des contrats spéciaux, LGDJ, Coll. Cours 2017, spéc.Chapitre IX, les contrats relatifs aux différends, n° 602 et s. adde Pour un droit du règlement amiable des différends, Des défis à relever pour une justice de qualité (dir. L. Casaux-Labrunée et J-F Roberge,préf. N. Belloubet)
[5] La durée d’un procès peur aller jusqu’à environ 3 ans, d’après le Rapport Doing Business dans les Etatsmembres de l’OHADA 2017.
[6] Il convient ne pas oublier que l’accord peut aussi être exécuté volontairement.
[7] Inscrit notamment à la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage (CCJA)