Accéder au contenu principal

L’égalité des parties dans la constitution du tribunal arbitral

Lors d’un différend opposant deux sociétés, l’une d’entre elles décide de saisir le tribunal arbitral, la clause compromissoire permettant au demandeur de choisir un arbitre parmi onze qui étaient proposés. La partie défenderesse conteste cette désignation en saisissant le juge d’appui afin que celui-ci statue sur l’annulation de la convention d’arbitrage et subsidiairement sur la récusation de l’arbitre. L’ordonnance du juge d’appui du 5 janvier 2017 constate qu’il n’y a pas lieu à la désignation d’un arbitre et, de plus, que la clause invoquée n’est pas contraire au principe d’égalité entre les parties dans la constitution du tribunal arbitral.

Le 12 octobre 2017, la Cour d’appel de Montpellier affirme que la clause compromissoire n’est pas manifestement nulle ou inapplicable et rejette la demande subsidiaire de récusation de l’arbitre désigné. Un pourvoi est formé et la Cour de cassation s’interroge sur l’irrecevabilité du pourvoi en cassation à l’encontre de l’arrêt statuant sur l’appel d’une décision du juge d’appui. Le pourvoi est déclaré irrecevable par la première chambre civile de la Haute juridiction, dans l’arrêt du 13 février 2019, au visa des articles 1455 et 1460 du Code de Procédure Civile pour les raisons suivantes :

  • d’une part les ordonnances du juge d’appui ne sont pas susceptibles de recours, sauf lorsqu’il déclare qu’il n’y a pas lieu à désignation d’un arbitre (convention d’arbitrage manifestement nulle ou inapplicable) ;
  • d’autre part, les moyens de cassation dirigés contre les dispositions de l’arrêt d’appel ne permettaient pas d’imputer au juge du fond un excès de pouvoir.

Avant d’étudier la question de la validité de la clause compromissoire au regard du principe de l’égalité entre les parties, il sera opportun d’analyser la question de l’absence de voie de recours contre l’ordonnance du juge d’appui.

L’absence de recours contre l’ordonnance

La Cour de cassation considérait le pourvoi irrecevable, confirmant ainsi les juges du fond se prononçant à faveur de l’arbitrage. L’article 1460 du CPC dispose que les ordonnances du juge d’appui ne sont pas susceptibles de recours, sauf s’il n’y a lieu à désignation d’arbitre, si la clause est manifestement nulle ou manifestement inapplicable. Ceci signifie que les voies de contestation ne sont en principe pas ouvertes.

Cet arrêt souligne la spécificité de l’arbitrage ad hoc dans lequel, en cas de difficulté rencontrée dans la constitution du tribunal arbitral, les parties ne peuvent faire appel qu’au juge d’appui puisqu’ a priori aucun centre n’est chargé d’organiser le déroulement de la procédure. Le juge public n’offre hélas que très peu de garanties, car celui-ci statue « comme en matière de référé », c’est-à-dire à l’issue d’une procédure accélérée.

En vertu de l’article 1454 du même code, le juge d’appui, en l’occurrence le président du Tribunal de Grande Instance, peut régler toute contestation soulevée à l’occasion de la constitution du tribunal arbitral, à condition pour lui de respecter notamment le principe compétence-compétence[1]. Ce principe énonce une double condition pour que le juge étatique se déclare compétent en dépit de l’existence de la clause compromissoire. Il est nécessaire que ladite clause soit manifestement nulle ou inapplicable et que le tribunal arbitral ne soit pas encore définitivement constitué. Il a été jugé que l’instance arbitrale commence une fois que l’arbitre unique ou l’ensemble des arbitres accepte la mission[2].

En l’espèce, la particularité de l’arrêt réside dans le fait que le demandeur avait saisi le juge d’appui non pas pour qu’il soit procédé à la désignation d’un arbitre, mais pour que celui-ci constate la nullité de la convention d’arbitrage.

La constitution du tribunal arbitral est une phase déterminante pour la bonne résolution du différend opposant les parties. Les clauses compromissoires prévoyant une liste d’arbitres sont assez fréquentes, cependant, leur usage peut susciter des interrogations. En effet, qu’en est-il de la partialité et de la dépendance dont on pourrait soupçonner les arbitres mentionnés dans plusieurs clauses mettant en cause la même société ou le sous-traitant de celle-ci ? Le ou les arbitres amenés à composer le tribunal arbitral tirent leur légitimité de la convention d’arbitrage les désignant. Des difficultés peuvent donner lieu à des contentieux lorsque le tribunal arbitral est composé d’un seul et unique arbitre.

En effet, l’arrêt de la Cour de cassation et celui de la cour d’appel ne peuvent se comprendre qu’au regard de la finalité imposée par le législateur : favoriser le recours à l’arbitrage, à travers l’obligation pour le juge d’appui de respecter le principe compétence-compétence et a priori en ne permettant pas l’exercice de voies de recours contre ses ordonnances ayant autorité de chose jugée[3].

Toutefois, le recours de l’appel-nullité reste à la disposition du justiciable, à charge pour lui de prouver que le juge a excédé ses pouvoirs et a dénaturé la portée de la clause d’arbitrage[4].

Il convient de poursuivre l’analyse de l’arrêt au regard du principe d’ordre public d’égalité entre les parties.

L’absence d’atteinte à l’égalité des parties dans la constitution du tribunal arbitral

La jurisprudence DUTCO de 1992 affirmait que « le principe d’égalité des parties dans la désignation des arbitres est d’ordre public, (que) on ne peut y renoncer qu’après la naissance du litige »[5]. Cependant, la pratique voit le développement de clauses compromissoire contenant une liste d’arbitres.

Celles-ci présentent un avantage : ces stipulations anticipent les modalités de règlement du différend à naître. Lorsque figure une liste d’arbitres dans la convention arbitrale, ceci permet de prévenir une éventuelle perte de temps.

En l’espèce, la solution du 13 février 2019 s’inscrit dans un courant jurisprudentiel qui assouplit le principe d’ordre public susmentionné. En effet, en 1994, il avait été jugé que « la clause d’arbitrage litigieuse n’abandonne pas la désignation de l’arbitre à la désignation unilatérale de l’une des parties, mais aux choix de la partie demanderesse en arbitrage, qui pouvait être l’une ou l’autre (…) »[6].

Cette approche jurisprudentielle soutient l’efficacité de ce type de clause, mais elle ne s’intéresse pas au doute légitime que pourrait ressentir la partie défenderesse lorsque son adversaire dispose - et lui seul - du pouvoir de choisir l’arbitre. Rappelons que ce dernier doit présenter des qualités essentielles d’impartialité et d’indépendance[7], afin d’assurer le déroulement d’un procès équitable. En effet, il est intéressant de savoir que malgré le nombreux contentieux intéressant cette notion de procès équitable, en 2013, des ordonnances de différents juges d’appui avaient refusé de récuser un arbitre intervenant dans plusieurs affaires concernant un même groupe entre 2006 et 2011[8].

La jurisprudence semble désormais résolue à ne pas écarter une telle clause, sauf si elle est exagérément contraignante, car « le fait de désigner les arbitres dans le corps même de la clause compromissoire n’est en soi pas illicite »[9]. En partant du principe que les relations contractuelles sont basées sur l’expression de la volonté commune des contractants, celui qui conteste la portée de la clause devrait prouver qu’au moment des discussions contractuelles, il ne se positionnait pas sur un même pied d’égalité que son cocontractant et, par conséquent, qu’il n’avait pas été en mesure d’exercer son pouvoir de négociation quant au contenu du contrat. Comme on le souligne parfois, la liste d’arbitres est un mécanisme à utiliser avec précaution. Elle ne devrait pas être de nature à entrainer des risques spécifiques lorsqu’elle est négociée entre les parties. Mais son usage est plus délicat lorsqu’elle est insérée de manière quasi systématique dans les contrats de société d’un même groupe[10].

Adriana Bottasso, Juriste


[1] C.P.C, art. 1448 

[2] Cass. 1e civ., 30 mars 2004, n° 01-11951

[3] B. HAFTEL, « L’autorité de la chose jugée par le juge d’appui », D. 2016, p. 138

[4] Paris, 1e civ., 10 octobre 2002, Culioli c/ SA Gastrolouvre et Sibella

[5] Cass. 1e civ., 7 janvier 1992, n°s 89-18708, 89-18726 P., BKMI et Siemens c/ Dutco

[6] TGI Paris (Ord. Réf.), 7 décembre 1994, Société Démolitions Delair v. société Bouygues, Rev. arb. 1994, p. 116

[7] CEDH, 28 juin 1984, Campbell and Fell c. Royaume Unis, Serie A, n°46 §76

[8] TGI Dijon (Ord. Réf), 19 mars 2013, SAS Etanchisol c. M. X. la SA Pertuy Construction, RG n° 12/00438. Dans le même sens : TGI Paris, (Ord. Réf), 20 décembre 2013, SA EMTE Mechanical Engineering c. Bouygues Bâtiment Ile-de-France, n° 13/57289

[9] TGI Paris (Ord.), 13 février 2014, SARL Alicantes c/ SAS Gerpo et autres, RG n° 13/58916

[10] M. DANIS, « Les listes d’arbitres en question », Cahiers de l’arbitrage – n° 3, CAPJA 2014, p. 465