Jurisprudence commentée - Les provisions pour arbitrage face à l’impécuniosité d’une partie
Jurisprudence commentée par Laurent POSOCCO, Maître de Conférence à L’Université Toulouse Capitole UT1
Cass. civ. 1re, 13 juill. 2016, FS-P+B, n° 15-19.389
L'obligation de provisionner les frais de l'arbitrage menace-t-elle le droit d'accès à la justice d'une partie placée dans l'incapacité de faire l'avance de tels frais ? La question avait déjà été posée notamment par l’affaire Pirelli C. c/ Licensing Projects[1]. C’est fort opportunément que la haute juridiction s’interroge à nouveau cette question cruciale de l’accès à la justice arbitrale d'une partie impécunieuse.
L’arbitrage est une justice privée qui, par définition, n’est pas gratuite[2]. La rémunération des arbitres dans leurs missions juridictionnelles et le cas échéant le paiement des frais du centre d'arbitrage, désigné pour l'organisation de la procédure, résultent du choix de la technique arbitrale. Les parties savent, dès qu’elles compromettent, à quoi s’en tenir. Pour cette raison, le cout de la procédure et ses modalités de paiement intéressent les entreprises au plus haut point, surtout lorsque celles-ci sont de taille moyenne et qu’elles doivent faire l’avance de frais de procédure conséquents qui n’auront bien souvent pas été anticipés.
Dans l'affaire jugée, la société ATE, par la suite mise en liquidation judiciaire, a assigné les sociétés Airbus Helicopters et Airbus Helicopters Deutschland devant le tribunal de commerce pour rupture de contrats de sous-traitance. Ces dernières ont soulevé une exception d'incompétence car des clauses compromissoires avaient été stipulées dans les contrats qui les liaient à la société ATE. La juridiction consulaire se déclare bien normalement incompétente. La société ATE forme alors, par l'intermédiaire de son liquidateur, un contredit destiné à contester le jugement. Celui-ci est rejeté par la cour d'appel de Paris. ATE, bien que totalement désargentée, se pourvoit alors en cassation. Elle invoque l'inapplicabilité manifeste de la clause compromissoire. Elle soutient qu’une convention d'arbitrage est manifestement inapplicable dès lors que l'une des parties, impécunieuse – en l’occurrence en liquidation judiciaire -, est dans l'impossibilité de constituer la provision au paiement de laquelle la saisine de l'arbitre se trouve subordonnée. Admettre l’efficacité de la convention d’arbitrage à l’encontre du litigant insolvable reviendrait selon elle à consacrer un déni de justice et à porter atteinte au droit d'accès au juge[3].
La cour de cassation ne l’entend pas ainsi. Elle estime que la clause d'arbitrage n’est pas manifestement inapplicable et qu’une telle inapplicabilité manifeste ne saurait être déduite de l'impossibilité alléguée par le liquidateur judiciaire de la société ATE de faire face au coût de la procédure d'arbitrage.
Cette décision suggère qu’une réflexion soit menée par les professionnels de l’arbitrage afin que naissent des formules permettant au procès de se dérouler dans de bonnes conditions. L'arbitre saisi est invité à rechercher une solution destinée à éviter un déni de justice. Dans cette affaire comme dans le cas PIRELLI, ce n’est pas le cout de l’arbitrage qui est en cause mais bien la question du versement des provisions. En outre, il serait intéressant que les règlements des chambres arbitrales tiennent compte des situations particulières et inventent des systèmes qui permettraient de surmonter la défaillance économique des litigants[4].
[2] Walid Ben Hamida et T. Clay (Sous la direction), L’argent dans l’arbitrage, Colloque du 27 juin 2013, Paris, organisé par le Centre Léon Duguit de l'Université d'Évry-Val d'Essonne et le Laboratoire DANTE, Lextenso-Dalloz 2013.
[3] CPC, art. 1448 et Conv. EDH, art 6 § 1
[4] Ex. examen par la chambre de la réalité de l’impécuniosité, réduction ou retardement du versement des provisions, garanties de paiements pour les honoraires des arbitres, couverture par une police d’assurance, etc.