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Signes favorales à l'arbitrage

Au-delà des turbulences médiatiques propagées à partir de dossiers exceptionnels par leurs enjeux, deux arrêts récents de la Cour de cassation démontrent la volonté de la Haute juridiction de permettre à l'arbitrage de déployer ses effets, ce qui l'a conduite tantôt à reconnaître le rayonnement de la clause d'arbitrage, tantôt à écarter les contestations purement formelles élevées à l'encontre de la composition du tribunal arbitral pour en paralyser le fonctionnement. [...]

Sommaire :

  1. RECOURS SUR RECOURS NE VAUT
  2. LA CLAUSE D'ARBITRAGE GOUVERNE TOUS DIFFERENDS
  3. Auteur
  4. Téléchargement de l'article complet

 1. RECOURS SUR RECOURS NE VAUT

Dans une affaire ayant donné lieu à un arrêt de la première chambre civile du 13 mars 2013 largement diffusé (pourvoi n° 12-20.573), une société a développé une demande d'annulation de la sentence d'arbitrage au motif qu'elle avait découvert qu'un cabinet d'avocats dont le président du tribunal était lui-même associé, était le conseil d'une autre personne morale directement intéressée à l'exécution de la sentence.

En l'espèce, plusieurs sociétés intervenant dans le domaine de la distribution avaient constitué une filiale commune. Leur relation au sein de cette dernière était régie par un contrat de partenariat et de management prévoyant qu'en cas de prise de contrôle de l'une d'elles par un concurrent, l'autre aurait la faculté de demander à la première de lui céder sa participation. Une clause d'arbitrage insérée au contrat avait pour objet de régler les différends pouvant survenir à cette occasion. C'est dans ces conditions qu'un tribunal arbitral statuant en amiable composition a dit que les titres de certaines personnes morales ainsi que la valeur de plusieurs hypermarchés exploités par elles, devaient être appréciés par voie d'expertise et que l'une des partenaires devait acquérir tous les titres détenus par une autre dans des filiales et vendre à son tour trois hypermarchés.

Dans un enchaînement particulièrement complexe, l'un des protagonistes a saisi le président du tribunal de grande instance de Paris d'une demande de récusation du président du tribunal arbitral. Le juge judiciaire, intervenant en effet comme juge d'appui, a le pouvoir d'intervenir en cas de difficulté de constitution du tribunal arbitral ou encore en présence d'un différend sur le maintien de l'arbitre, et l'article 1456 alinéa 3 du code de procédure civile lui permet d'examiner une demande de révocation. En l'occurrence, il a rejeté celle-ci en considérant que l'indépendance et l'impartialité de l'arbitre n'étaient pas altérées.

Malgré tout, la même société a poursuivi l'annulation de la sentence rendue devant la cour d'appel, en reprenant le même grief. C'est cette fois-ci la cour de Paris qui a rejeté cette demande d'annulation.

Le pourvoi en cassation formé à l'encontre de son arrêt est rejeté. Selon la première chambre civile, la cour d'appel avait exactement déduit que le moyen d'annulation tiré de l'irrégularité de la composition du tribunal arbitral était irrecevable, dès lors que la décision de rejet de la demande de récusation avait irrévocablement statué sur la contestation de l'indépendance et de l'impartialité de l'arbitre. Ainsi, n'est-il pas possible de se prévaloir de circonstances identiques pour tenter de remettre en cause par des recours successifs la régularité de la composition du tribunal. Ceci donne une efficacité très importante aux ordonnances du juge d'appui, dans la mesure où une partie ne peut invoquer une irrégularité que le magistrat a déjà écartée. Si ce dernier a tranché une contestation sur l'impartialité de l'arbitre, il l'a fait de manière définitive et irrévocable.

On relèvera que dans le même arrêt, la première chambre civile entend également donner un effet utile à la convention d'arbitrage, en écartant un autre grief. La même partie reprochait aux arbitres d'avoir étendu, en quelque sorte, leur mission en fixant les modalités d'une sortie équitable du partenariat sans s'attacher uniquement à l'énoncé des questions litigieuses dans l'acte de mission. La Cour de cassation relève en l'espèce que le raisonnement de la cour d'appel a été correct car cette dernière a vérifié que les parties avaient débattu de l'ensemble des termes du litige, sans qu'il soit nécessaire que les arbitres aient à soumettre à la discussion l'argumentation juridique étayant leur propre motivation.

 

 2. LA CLAUSE D'ARBITRAGE GOUVERNE TOUS DIFFERENDS

L'autre arrêt a été rendu également par la première chambre civile le 27 février 2013 (pourvoi n° 12-16.328). Il ne sera pas publié au bulletin mais il présente un véritable intérêt pratique dans la mesure où la question portait sur la juridiction compétente pour connaître d'un litige impliquant la dissolution d'une société commerciale : tribunal de commerce ou tribunal arbitral.

En l'occurrence, plusieurs sociétés s'étaient rapprochées en vue de l'implantation et de la réorganisation d'un pôle industriel. Elles avaient conclu un protocole d'accord précisant les conditions de leur participation respective au projet et définissant l'objet et le fonctionnement de la structure à créer entre elles. Le protocole prévoyait qu'en cas de litige relatif à son interprétation, sa validité ou à son exécution, le recours à l'arbitrage pouvait être mis en œuvre, conformément au règlement de l'association française d'arbitrage, et ce à défaut de règlement amiable du litige dans les soixante jours suivant l'envoi d'une lettre recommandée avec accusé de réception émanant de la partie invoquant l'existence d'un litige. Le jour même, les parties avaient constitué une SAS ayant pour objet l'acquisition d'un ensemble immobilier et divers travaux de restructuration. Les statuts de cette société prévoyaient que toutes contestations qui pouvaient s'élever entre les associés seraient soumises aux tribunaux compétents dans les conditions de droit commun. Puis, les parties se sont opposées et la réalisation de leur projet commun a été compromise. Une action judiciaire a été intentée en vue d'obtenir la dissolution de l'entité commune. Le tribunal de commerce s'est déclaré incompétent au profit du tribunal arbitral et a invité les parties à mieux se pourvoir. La cour d'appel a confirmé ce jugement.

La Haute juridiction rejette à son tour le pourvoi. Elle relève que l'arrêt de la cour a constaté qu'une clause d'arbitrage figurait dans le protocole d'accord pour régler les différends et litiges relatifs à son interprétation, sa validité et à son extinction, et qu'en cas de contradiction avec les statuts de la société qui avait été créée et le protocole, les parties avaient prévu que les termes de celui-ci prévaudraient. Ainsi, en retenant que le litige sur la disparition de l'objet social de cette société portait sur l'existence même du protocole signé en vue de créer une société commune, la cour d'appel a, hors toute dénaturation, pu en déduire, que les dispositions de l'article R. 210-15 du code de commerce ne rendaient pas manifestement inapplicables une telle clause et que le tribunal de commerce n'était pas compétent.

Primauté est ainsi reconnue à l'arbitrage au-delà de la divergence de rédaction entre le protocole et les statuts du groupement spécialement constitué par les partenaires et en dépit des dispositions de l'article R. 210-15 du code de commerce attribuant compétence au tribunal de commerce pour connaître de la demande en dissolution d'une société commerciale. En l'absence d'obstacle évident, la clause compromissoire insérée dans le protocole doit venir à effet. Ainsi le juge étatique s'efface-t-il en toute objectivité, ce qui est une marque de confiance dans le processus arbitral, juridictionnel de plein exercice.

Jean-Jacques Barbieri
Professeur de Droit


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pdfSignes favorables à l'arbitrage53.31 Ko17/09/2015, 17:02