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La renonciation ponctuelle à la mise en oeuvre d’une clause compromissoire rend-elle cette dernière manifestement inapplicable dans d’autres contentieux ?

Jurisprudence commentée par M. Laurent POSOCCO, Maître de Conférence à L’Université Toulouse Capitole UT1

Cass. Civ. 1ière 20 avril 2017, n°16-11.413

Le mouvement de faveur pour l’arbitrage est parfois contrarié par de surprenantes décisions. Dans l’affaire qui suit, un franchiseur et son franchisé voyaient leur relation encadrée par un ensemble contractuel composé de trois contrats :

• un contrat de franchise et un contrat d’approvisionnement contenant chacun une clause compromissoire,

• un contrat de location-gérance ne contenant pas de convention d’arbitrage et relevant, a priori,de la compétence du tribunal de commerce.

Les sociétés du groupe franchiseur intentent une action contre le franchisé devant le tribunal de commerce pour obtenir le paiement de factures sur le fondement des contrats de franchise et d’approvisionnement. Ce faisant, elles renoncent pour ce litige – et pour ce litige seulement – à l’application de la convention d’arbitrage. Pour sa part, le franchisé n’invoque nullement la clause compromissoire dans le cadre de cette première action en paiement. Lui aussi renonce pour ce litige– et pour ce litige seulement – à l’application de la clause arbitrale.

En revanche, le franchisé assigne à son tour une société du groupe franchiseur devant la même juridiction consulaire en nullité du contrat delocation-gérance et en paiement. Dans le cadre de ce dernier contentieux relatif à la location-gérance,le franchiseur ne se satisfait pas du recours aujuge judiciaire et il soulève, contre toute attente,l’incompétence du tribunal de commerce au profit du tribunal arbitral. La clause compromissoire convenue dans le contrat de franchise avait en effet contaminé l’ensemble contractuel et il paraissait tout à fait possible de vouloir la mettre en oeuvre.

La juridiction consulaire, confirmée par la cour d’appel, se déclare pourtant compétente pour trancher l’ensemble des litiges. Les sociétés du groupe franchiseur intentent un pourvoi. La première chambre civile de la Cour de cassation approuve la cour d’appel qui relève que, malgré la présence des clauses compromissoires dans les contrats de franchise et d’approvisionnement, les sociétés du groupe franchiseur ont assigné leur franchisédevant un tribunal de commerce et que le franchisé n’a pas contesté la compétence du juge consulaire.Les parties auraient renoncé de manière irrévocable à l’application de la clause compromissoire. Ladite clause ne pouvait pas, dès lors, être étendue au contrat de location-gérance qui, formellement, enétait dépourvue. La solution mérite d’être critiquée pour deux raisons :


• D’une part, la renonciation à la clause compromissoire n’était en aucun cas irrévocable ou permanente. Le fait de ne pas se prévaloir dela clause compromissoire une fois n’interdisait nullement au franchisé de l’invoquer dans une autre procédure. La clause compromissoire ne s’use pas lorsque l’on s’en sert. L’expression est connue : comme une célèbre pile, elle ne s’use pas non plus lorsqu’on ne s’en sert pas. Elle ne saurait s’éteindre du fait d’une renonciation ponctuelle des plaideurs.

• D’autre part, dans un tel contexte, il est surprenant de voir la haute juridiction qualifier de manifestement inapplicable la convention arbitrale. La clause était au contraire probablement applicable. En tous cas, un doute suffisant aurait dû dissuader les rédacteurs d’utiliser une formule aussi péremptoire.

La solution, pragmatique, était sans doute destinée à favoriser une bonne administration de la justice en permettant aux juges consulaires de joindre les différentes instances. Or, cette jonction n’était possible que devant le tribunal de commerce, étant donné la renonciation à l’arbitrage intervenue dans le premier contentieux. Il fallait ainsi neutraliser la clause compromissoire.

Laurent POSOCCO - Maître de Conférence à L’Université Toulouse Capitole UT1

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